Questionnements sur la réforme du règlement Dublin
Je me pose beaucoup de questions concernant le sujet de la réforme du règlement Dublin, les élections européennes, etc.
Je vous expose tous ces questionnements, désolé pour la tartine mais le sujet est complexe… je suis ouvert à vos remarques !
J’ai regardé les différents programmes des listes candidates aux élections européennes. Sur les questions de politiques migratoires, la plupart des listes vers lesquelles je penche plus naturellement sont plus ou moins sur les mêmes propositions.
Mais pour être franc, les programmes ne sont pas vraiment des programmes détaillés, mais des listes d’intentions…
Sur la question du règlement Dublin, la plupart disent vouloir le remettre en question ou l’annuler, mais sans rentrer du tout dans les détails de la méthode.
Il y a quand même 2 listes, « Envie d’Europe » (PS/Placepublique…) et la liste « Pour le climat » (EELV…), qui précisent vouloir s’appuyer sur le projet de réforme du Parlement européen, aussi appelé le « Rapport Wïkstrom ».
Je suis donc retourné voir ce projet, dans le détail, et je suis bien embêté parce que l’interprétation que j’en fais n’est vraiment pas positive. Pour autant je ne suis pas juriste, je peux évidemment me tromper, donc je préfère partager avec vous mes questionnements, pour en débattre.
Le fonctionnement de l’UE veut que ce soit la commission européenne qui initie des projets de loi, et ensuite le Parlement Européen (PE) étudie la proposition, amende, modifie, etc. Ensuite la proposition du parlement est soumise au Conseil de l’UE (CUE), et il s’opère ensuite 2 ou 3 allers-retours, etc. (un peu comme l’Assemblée nationale et le Sénat, en France). Pour plus de détails, voici un schéma perso.
Il y a donc eu une première proposition de réforme en mai 2016, initiée par la Commission européenne (CE), qui était une abomination totale…
Etait prévu la mise en place d’une clé de répartition des demandeurs dans les pays européens. Cette clé de répartition prenait en compte le nombre de demandeurs d’asile au regard de la population, et de son PIB. Un mécanisme complexe à mettre en œuvre, mais qui pouvait sembler en tout cas aller vers une plus grande solidarité entre les pays européens… sauf qu’était prévu une manière de la contourner… en payant 250 000 € par personne dont un état refusait la prise en charge. L’UE décide de transférer à la France un couple avec 2 enfants actuellement en Italie ? Nous pouvions refuser, en payant 1 millions d’euros à l’Italie.
Autres propositions de cette réforme : suppression totale du droit au recours, et quand un pays a été imposé à la personne, cette obligation est permanente et irrévocable.
La réforme en question est consultable ici.
Suite à cette proposition, la commission des libertés civiles (LIBE) a commandé un rapport à Francesco Maiani, qui est sans appel et détaille point par point en quoi ce projet était non seulement voué à l’échec, mais en plus ne respectait pas les conventions et le droit international.
Le PE a donc proposé des amendements, pour arriver à une proposition aussi appelé le « Rapport Wikström », en mars 2017. C’est cette proposition du PE que des listes comme celles du PS ou de EELV déclarent vouloir soutenir.
La proposition du parlement est consultable ici.
Mais l’étude de cette proposition me fait beaucoup douter, il y a dedans beaucoup de points positifs, je ne doute pas de la volonté des parlementaires d’arriver à une solution « positive » pour les demandeurs d’asile, mais dans les faits je doute du résultat. Cette proposition demande d’annuler tous les points les plus négatifs de la proposition de la commission, heureusement.
Difficile de tout détailler, mais elle repose sur les principes suivants : une meilleure prise en compte des liens entre le demandeur et le pays de son choix, une clé de répartition afin d’aller vers une plus grande solidarité dans la prise en charge de demandeurs d’asile, et des mesures coercitives en cas de refus de prise en charge. Les coûts liés aux transferts ne seraient plus à la charge des Etats membre, mais financé par des fonds de l’Union européenne. Les mesures coercitives seraient que les pays qui refusent une prise en charge se verraient à terme refuser le financement des transferts par les fonds de l’UE.
L’orientation globale semble aller « dans le bon sens », même si personnellement on est encore très loin d’un fonctionnement juste et équitable.
Mais dans la pratique, je n’arrive pas à voir une « avancée » pour les demandeurs d’asile.
Pour mieux comprendre, je prends un cas concret et fréquent : une personne originaire d’Afrique, qui est entré irrégulièrement en Europe par l’Italie ou l’Espagne. Ses empreintes y ont été prises au débarquement du bateau, mais elle est tout de suite venue en France ensuite, parce qu’elle parle français, qu’elle y a un frère ou une sœur, etc…
Il arrive chez nous, il dépose une demande d’asile, il est placé en procédure Dublin, nous faisons un courrier au préfet pour lui demander d’appliquer la clause discrétionnaire ou humanitaire… Le préfet, invariablement, réponds que cette clause est facultative et il refuse. C’est donc le dernier critère qui s’impose, à savoir le pays d’entrée irrégulière : l’Italie ou l’Espagne vers où une procédure de transfert est enclenchée, et 9 fois sur 10 la personne dublinée refuse ce transfert, perd ses droits, et il fait le choix, difficile, de rester en clandestin jusqu’à l’expiration du délai Dublin (18 mois à partir de la date d’acceptation du pays de transfert).
Voici la situation actuelle, ou le règlement Dublin ne fonctionne donc qu’à 10% et dans 90% des cas il génère des situations de précarité pendant plus d’un an.
Totalement irrationnel, nous sommes bien d’accord. Actuellement les charges financières liées aux transferts sont pour les Pays.
De ce que je comprends du projet de réforme du PE, dans ce même cas de figure :
Nous faisons là aussi un courrier au préfet, pour mettre en avant les liens culturels, en nous basant sur l’article 19, paragraphe 2, alinéa 1.
Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement qu’aujourd’hui, la préfecture va refuser en se basant sur le texte : « l’état membre peut demander à un autre état membre de prendre un demandeur en charge… ». Ça n’est pas un critère obligatoire, il n’y a aucune obligation.
Nous arrivons donc à la situation ou aucun des critères d’attribution n’est valable, donc la personne tombe sous le coup de l’article 36 : « Sur la base de la clé de référence visée à l’article 35, une liste restreinte de quatre États membres ayant le nombre de demandeurs le moins élevé par rapport à leur part conformément à ladite clé de référence est établie par l’intermédiaire du système automatisé ».
« Dans un délai de cinq jours à compter de cette communication, le demandeur a la possibilité de choisir un État membre d’attribution parmi les quatre États ».
Je me suis basé sur Eurostat, afin de voir quels sont actuellement les 4 pays qui ont le moins de demandeurs d’asile, relatifs à leur population et leur PIB, et ce sont : Lettonie, Estonie, Hongrie et Slovaquie.
Dans ce graphique je me suis basé sur la dernière année, dans les faits ce serait calculé sur les 5 années précédentes, mais ça ne devrait pas changer grand-chose au résultat. Il est aussi prévu un avancement par étape, avec une période transitoire de 3 ans, mais au final on arrivera bien à ce principe d’une liste finale de pays « peu ouverts ».
Le demandeur d’asile va donc devoir choisir parmi ces 4 pays, et « Si le demandeur ne choisit pas un État membre conformément au premier alinéa du présent paragraphe, l’État membre procédant à la détermination attribue au demandeur l’État membre de la liste restreinte ayant le nombre de demandeurs le moins élevé par rapport à leur part conformément à la clé de référence visée à l’article 35 ».
Donc un transfert va être organisé vers la Slovaquie, ou un des 4 autres pays s’il en a choisi un. Le coût du transfert sera à la charge de l’Union, et plus des EM.
Maintenant si le pays en question refuse le transfert, que va-t-il se passer ?
Si je me base sur l’article 43 ter : « Si un État membre ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu du chapitre VII, il n’est pas autorisé à utiliser les fonds de l’Union pour financer le retour des ressortissants de pays tiers dans les pays tiers ».
Le but semble donc bien, au final, d' »imposer » le pays de demande d’asile.
Actuellement ils n’ont aucun choix, donc ils préfèrent la clandestinité pendant 18 mois pour enfin accéder au pays de leur choix.
Avec le projet du PE, dans la même situation ils n’auront que le choix entre 4 pays, ceux qui accueillent le moins de demandeurs d’asile. Donc un choix très « relatif », et à la limite encore moins confortable qu’aujourd’hui. Je n’arrive pas à imaginer qu’ils vont se résoudre à accepter ces choix là… donc je crains qu’ils ne soient encore plus tentés de se résoudre à attendre 18 mois (si ce délai d’expiration reste valable).
Voilà pourquoi il me semble que la proposition du PE n’est pas « préférable » que le système actuel, et que je ne comprends pas que des partis « progressistes » semblent vouloir s’appuyer sur cette proposition. Mais peut-être que c’est ma lecture des textes qui n’est pas bonne ?
Qui plus est il me semble quasiment impossible que cette proposition soit validée par le Conseil de l’UE, les pays les plus récalcitrants, comme le groupe de Višegrad, vont faire blocus.
Autre hypothèse de ma part, mais qui me semblerait vraiment perverse : les mesures coercitives qui sont prévues, donc le refus du financement de l’UE des transferts pour les pays récalcitrants, seraient tellement « accessoires » que les pays en question se sentent prêts à les assumer et vont donc accepter cette formule en se disant qu’ils refuseront systématiquement (vu le peu de demandes qu’ils ont ça ne changera pas grand-chose pour eux).
Si, dans le cas de figure ou les 4 pays refusent, c’est l’Etat Membre où se trouve la personne qui devient responsable, en effet la proposition devient « potentiellement intéressante » pour les demandeurs d’asile, mais ça me semble assez alambiqué.
A titre perso je reste pour l’instant convaincu que la seule solution valable reste d’aller vers un principe du libre choix du pays de demande d’asile, c’est dans ce sens qu’a été réfléchi l’opération « Leave the choice » : www.leavethechoice.eu
Mais le sujet est vraiment complexe…
Voilà ou j’en suis de mes réflexions, je suis preneur de tout avis !
L’accés à la demande d’asile est-elle égalitaire en France ?
Le droit d’asile est un droit de l’homme fondamental reconnu par la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 (art.14), la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) et la Convention de Genève du 7 juillet 1951.
Ce droit fondamental devrait être équitable et égalitaire, à l’échelle européenne et nationale, ce qui est loin d’être le cas. Déjà à l’échelle européenne les chances d’obtention d’une protection varient grandement d’un pays à l’autre. Il est utile de rappeler que la France n’est pas dans les pays qui accueillent le plus, nous sommes même au 13erang européen, en termes de nombre de demandeurs d’asile rapporté à la population, comme le montre le tableau ci-dessous.
A l’échelle de la France, une étude des statistiques d’obtention d’une protection, consultables dans le rapport annuel de l’Ofpra, montre qu’il y a de grandes disparités. La moyenne nationale est de 44%, mais le département le plus bas est à 21,28%, et le département le plus haut est à 75,27% !
Pourtant, toutes les demandes d’asile sont étudiées au même endroit, à l’Ofpra, à Fontenay-sous-Bois. Les raisons de ces disparités ne peuvent donc intervenir qu’en amont, c’est à dire lors de la prise en charge du demandeur d’asile. Une des raisons possibles serait les différences de pays d’origine, mais sauf pour les départements de l’Est, où sont plus particulièrement réunis des ressortissants des pays comme l’Albanie, Géorgie, Kosovar, qui sont des pays à faible taux d’obtention, il semble peu plausible qu’il y ait de fortes concentrations communautaires par département.
Théoriquement, une personne en procédure d’asile bénéficie d’un hébergement et d’un accompagnement par des travailleurs sociaux, mais à peine plus de la moitié des demandeurs d’asile accèdent en réalité à un logement, et à l’accompagnement social qui va avec. Il serait intéressant d’avoir des statistiques plus fines, notamment sur le pourcentage d’accès à un accompagnement, par département, afin de voir s’il y a une corrélation. Mais ces statistiques ne semblent pas disponibles… Si vous connaissez un élu qui aurait les moyens de les avoir, n’hésitez pas !
Il est difficilement acceptable que les chances d’obtenir l’asile soient aussi inégalitaires, au sein même de notre pays.
En attendant de trouver plus d’informations, voici quelques tableaux permettant d’avoir une vision plus précise des déséquilibres. Ce tableau comparatif régional semble démontrer un lien possible avec la possibilité d’obtenir un hébergement. L’Ile-de-France est le département ou il y a le moins d’hébergement, le plus de demandeurs d’asile, et le taux d’obtention de l’asile le plus bas. L’exception de la région Grand-Est pouvant s’expliquer par les pays d’origine des demandeurs d’asile dans cette région frontalière.
Le tableau ci-dessous montre le déséquilibre flagrant en terme du nombre de demandeurs d’asile accueillis par département, rapporté à la population.
Ci-dessous les tableaux par région :
Plus l’émigration est vitale, plus elle est entravée
Clandestins. Illégaux. Voici comment certains appellent les étrangers qui demandent à l’Europe de leur accorder une protection.
Quant à ceux qui les aident, ils sont forcément des utopistes naïfs inconscients, qui participent à l’ « invasion » de la France et de l’Europe. Au pire, des « collabos », des complices de la traite humaine, voire du terrorisme… des « pro-migrants islamo-gauchistes ».
Nous sommes enfermés dans un discours manichéen, une vision bipolaire d’un sujet qui est pourtant infiniment complexe, pour lequel il est impossible de faire l’impasse d’une réflexion de fond. Au lieu de se poser la (mauvaise) question de savoir si on est « pour » ou « contre » la migration, il est important d’essayer d’avoir une vision la plus neutre et objective possible.
Nous sommes un peu plus de 7,5 milliards d’habitants dans le monde, répartis dans un peu moins de 200 pays. Les inégalités mondiales se creusent au fil du temps. Un des indicateurs permettant de le mesurer est le PIB par habitant.
La carte ci-dessous permet d’avoir une vue globale des disparités entre pays et continents :
Plus précisément, ce graphique permet de comparer le PIB par habitant en Europe, en France et dans les 10 premiers pays d’origine des demandeurs d’asile de ces dernières années :
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_par_habitant
La carte ci-dessous, qui indique les risques sécuritaires et politiques, montre bien la corrélation entre l’économie et la sécurité :
Source : https://www.controlrisks.com/riskmap-2018/maps
Autre inégalité encore plus flagrante, celle de la mobilité. Ci-dessous une carte du monde qui montre les différences de « puissance » des différents passeports :
Source : https://www.passportindex.org/byRank.php
En tant que Français, je peux accéder à 188 pays sans même avoir besoin d’un visa. Ne fuyant ni la guerre ni la misère, toute installation dans un autre pays ne serait rien d’autre qu’une emmigration économique, ou « de confort ». Un Afghan, lui, ne peut se rendre que dans une trentaine de pays sans visa, et aucun de ces pays n’est européen. Idem pour un Soudanais.
Ce qui démontre le paradoxe suivant : nous « condamnons » l’émigration économique, mais nous sommes les premiers à la pratiquer. Et plus l’émigration est vitale, plus nous l’entravons.
En 1951, la France et beaucoup d’autres pays ont signé la convention de Genève relative au statut de réfugié, nous nous sommes engagés à accueillir et accorder une protection aux personnes qui fuient les persécutions. Aujourd’hui, l’Europe ne respecte plus ses engagements. Une étude du centre de recherche de l’Union Européenne indique que 90% des personnes qui obtiennent le statut de réfugiés sont entrés de manière irrégulière en Europe. Ça n’est pas par choix, c’est la conséquence de l’incapacité des Etats membres à proposer des voies légales d’immigration. Qui peux croire un seul instant que ces hommes femmes et enfants, si elles en avaient la possibilité, ne préféreraient pas venir avec un visa, en payant un billet d’avion ou un bateau régulier, en toute sécurité ?
C’est la France, l’Europe, qui fait le jeu des passeurs en continuant de refuser d’ouvrir des voies légales d’immigration. C’est nous qui créons les conditions obligeant les personnes à entrer de manière irrégulière. C’est nous qui fermons nos frontières et laissons mourir à nos portes des milliers d’hommes, femmes et enfants. Pire, certains souhaitent entraver ceux qui, comme l’Aquarius, partent en mer pour leur mission d’assistance.
Quand l’extrême-droite parle de « clandestins », accuse les ONG de complicité avec les passeurs, elle est dans une posture d’une mauvaise foi absolue et d’une malhonneteté flagrante. C’est la même mauvaise foi absolue qui permet à certains de dire que ce serait plus « humanitaire » de ne pas aller porter secours aux embarcations au large de la Libye, ou alors de ramener dans ce pays les bateaux.
Pour se rendre compte de la lâcheté de cette solution, je vous conseille le visionnage d’une vidéo de l’asso Forensic, qui a reconstitué un sauvetage effectué par les garde-côtes Libyen, en novembre 2017. On peut y voir un bateau Libyen qui laisse se noyer 2 personnes, au minimum. Les personnes recueillies sur leur ponton sont contenues à coup de cordes. L’une d’elle préfère essayer de s’enfuir, elle saute du bateau, essaye de s’accrocher à une échelle, et les garde-côtes démarrent le bateau malgré tout. On entend un hélicoptère des autorités italienne qui implore le bateau Libyen de s’arrêter, qui leur répète par radio qu’ils sont en train de tuer un homme. Pas de réponse du bateau, qui part en relevant l’échelle. C’est un bateau officiel des autorités libyennes. Ce rapport d’Amnesty international est lui aussi édifiant.
Prétendre que c’est pour « rendre effectif le droit d’asile » qu’il faut fermer les frontières, c’est un mensonge. A l’échelle européenne, 55% des demandeurs d’asile obtiennent une protection (538 000 en 2017). Pour obtenir une protection, il a fallu PROUVER qu’un retour au pays d’origine signifiait un danger de mort. Cela ne veut pas dire que ceux qui sont débouté du droit d’asile ne sont pas en danger de mort, juste qu’ils n’ont pas réussi à le prouver. 90% des réfugiés ont été contraints d’entrer en Europe de manière illégale. Fermer les frontières, refuser d’ouvrir des voies légales d’immigration, reviendrait à laisser en danger de mort plus de 500 000 personnes par an.
Sur l’aspect « dissuasif » qu’il pourrait y avoir à stopper les secours en mer : il est impossible de prévoir si cela marcherait… mais il est toutefois possible d’affirmer que même si cela fonctionnait, cela prendrait au mieux plusieurs mois. Et pendant ces quelques mois, il y aurait des centaines voir des milliers de morts en mer. Depuis le début de l’année, plus de 1800 hommes, femmes et enfants ont perdus la vie en Méditerranée.
Quand les Identitaires, le Rassemblement National, et quelques autres demandent l’arrêt des sauvetages en mer, la fermeture des frontières, ils assument clairement la responsabilité de la mort de plusieurs centaines voire milliers d’hommes, femmes et enfants. Ils doivent considérer que c’est un « sacrifice acceptable ». L’histoire bégaye.
M. Macron, quand est-ce que vous vous faites greffer des c******s ?
M. le président, j’espère que vous m’excuserez l’utilisation de cette expression affreuse et que je n’apprécie pas. N’y voyez pas un manque de respect, mais l’expression d’une colère qui ne trouve pas d’autres mots pour l’exprimer.
J’ai voté pour vous au second tour de l’élection présidentielle. Pas par adhésion à votre programme, mais parce que je vous ai cru, naïvement, quand vous aviez déclaré en janvier 2017 que votre projet était, je vous cite : « un rempart à un parti qui porte la haine, l’exclusion et le repli* ». Pour être tout à fait franc, j’aurais préféré un autre rempart que vous au second tour, mais je n’ai pas hésité une seconde au moment de glisser votre bulletin dans l’urne.
Un an et demi plus tard, vous vous posez en « opposant principal » d’Orban et de Salvini**. Cette fois, désolé mais je ne vous crois plus sur parole, il faut des actes.
En 1951, la France a signé la convention de Genève relative au statut de réfugié, la France s’est engagé à accorder une protection aux personnes étrangères qui craignent la persécution. En 2018 il y a des hommes, des femmes et des enfants qui demandent à la France et à l’Europe de leur accorder une protection, et la France et l’Europe les laissent mourir en mer avant même d’étudier leur demande. La France ne respecte plus la convention qu’elle a signé. Il y a eu plus de 5000 morts en Méditerranée en 2016, plus de 3000 en 2917, et déjà plus de 1700 cette année.
Une étude de l’Union Européenne l’a démontrée, 90% des personnes qui ont obtenu une protection sont entrées illégalement en Europe. Pas par choix, mais parce que l’Europe refuse encore et toujours d’ouvrir des voies légales d’immigration, forçant ainsi ces personnes à prendre des voies de plus en plus dangereuses.
Cette année, 1 personne sur 18 meurt pendant la traversée, selon le HCR. C’est le résultat du durcissement de la politique européenne, qui entrave les missions des bateaux des ONG.
Ceux qui font le jeu des passeurs, ce ne sont pas les ONG, mais les états qui refusent d’ouvrir des voies légales d’immigration. Et ne me répondez pas en mettant en avant les missions de relocalisation qui ont été mis en place depuis 2015, ils étaient déjà insuffisants à leur origine et ni la France ni l’Europe n’ont respecté leurs objectifs.
En 1951, la France s’est engagé à accorder une protection aux personnes étrangères qui craignent la persécution, par exemple ceux qui craignent la prison en raison de leurs idées politiques, comme cela arrive dans certains pays. Le 11 septembre 2018, M. Collomb, votre ministre de l’intérieur, a envoyé aux préfet une instruction relative aux nouvelles dispositions applicables immédiatement, suite à la promulgation de la nouvelle loi sur l’asile et l’immigration. L’une de ces mesures permet d’emprisonner pendant 3 ans les demandeurs d’asile qui refuserait d’être expulsé vers un pays dirigé par l’extrême-droite, comme l’Italie, ou un état qui menace de le renvoyer dans le pays qu’il a fui pour échapper à la prison, la mort ou la misère.
Avez-vous conscience de l’absurdité de la situation ? En France, nous n’emprisonnons pas les opposants politiques, heureusement, mais nous pouvons emprisonner les demandeurs d’asile qui refusent de se soumettre à un règlement européen dont vous avez vous-même dit, en janvier 2017, qu’il avait des « effets pervers »*** ?
Il y a aujourd’hui, en Europe et en France, des hommes et des femmes politiques qui instrumentalisent la peur des étrangers à des fins idéologiques et dans le but d’accéder au pouvoir.
L’histoire bégaye, l’Europe perd la mémoire. Mais tôt ou tard, l’histoire jugera. Le rôle des dirigeants européens et des préfets en France sera difficile à éluder.
Il est temps de poser des actes, si comme vous le dites votre projet est un réel rempart à la haine, l’exclusion et le repli. Vous répétez que la solution doit être européenne, vous avez raison. Mais il faut qu’un état montre l’exemple, et la France s’honorerait à être celui-ci.
Accueillez l’Aquarius, acceptez sa demande d’accoster à Marseille, et allez même plus loin : accordez-lui le pavillon français ! Les marins des bateaux de ces ONG sauvent l’honneur de l’Europe, il est temps de reconnaître leurs actions.
Il est aussi temps de reconnaître que la France n’a pas pris sa part dans l’accueil des exilés, qu’elle n’est qu’en 13eposition au rang européen en termes de nombre de personnes accueillies au regard de sa population.
Il est temps de montrer l’exemple, d’expliquer que personne ne nous demande d’« accueillir toute la misère du monde », mais juste de faire preuve d’humanité en accueillant les hommes, femmes et enfants qui ont eu la malchance de ne pas naître au bon endroit. Aucune faute commise, aucune responsabilité à leur faire porter, aucune raison de leur barrer la route.
Vous avez reproché il y a quelques jours à un jeune horticulteur de ne pas traverser la route pour chercher un emploi dans la restauration.
Ne laissez pas sans réponse les hommes, femmes et enfants qui traversent la mer au péril de leur vie, dans l’espoir d’une vie meilleure.
M. le Président, il est temps de mettre en accord vos paroles et vos actes, et à défaut de greffe intime, de faire enfin preuve de courage.
François Héran – Migrations et sociétés
« Tachons donc de tenir à nos concitoyens un discours de raison plutôt qu’un discours de peur. Seul une lecture hâtive de Michel Foucault pourrait nous faire que la statistique serait un instrument de domination de l’état, un outil de benchmarking au service de la mondialisation. Le péril n’est pas la gouvernance par le nombre mais la diversion par les chiffres. Utilisons la science du nombre pour établir les faits. Tracer les causalités, mesurer l’écart de la réalité à l’idéal. Idéal d’égalité, de cohésion sociale, de non-discrimination : l’idéal républicain. Compter n’est plus secret d’état ou un monopole divin, comme dans l’histoire de David châtié par Yahvé pour avoir osé recenser son peuple. Nous avons le droit de quitter les ruelles de notre quartier, de monter au beffroi pour prendre une vue d’ensemble de la cité, cartographier le monde et nous situer. Quitte à remplacer l’image du beffroi par celle du GPS. En bonne démographie, et en bonne démocratie, ce n’est pas pour dominer que l’état doit compter. C’est pour rendre des comptes. C’est pour être comptable au double sens du terme. Comptable de ses actes sous le regard des citoyens, et capable de compter, selon les règles de l’art. Ce à quoi les scientifiques veillent. D’où l’importance par exemple de savoir raisonner à population égale et non en chiffres bruts. Cela vaut pour toute institution. Quand le programme Missing migrants recense les milliers de morts sur la route de l’exil, il met l’Europe en face de ses responsabilités. Il nous met tous en face de nos responsabilités. L’immigration est l’œuvre des migrants, des exilés mais c’est aussi la nôtre. On emmena un jour Maurice Ravel au concert, alors qu’il était très atteint par la maladie. Elle est belle cette musique, de qui est-ce ? On dû lui répondre « C’est vous qui l’avez composé ». Cette histoire serre le cœur, que le génie soit diminué au point de ne plus reconnaitre ses œuvres. Il semble que nous souffrions de la même maladie vis-à-vis de l’immigration. C’est nous qui l’avons composé et nous l’avons oublié. Elle est largement le sous-produit des incursions des nations européennes dans les pays du sud, du levant et de l’orient. Elle est aussi une façon, pour les hommes et les femmes qui migrent, de réagir, de répondre au système mondial des inégalités dont nous ne pouvons pas nous exonérer. Et c’est le contrecoup enfin des exigences de notre contribution à la formation des droits universels. Nous avons fini par comprendre qu’une vie de famille nourrie par le travail vaut mieux qu’une vie de labeur sacrifiant la vie familiale, et que cela valait aussi pour les immigrés. Nous devrions reconnaitre là notre œuvre au lieu d’y voir une contrainte extérieure. Comment imaginer que des principes universels, proclamés à la face du monde puissent tourner à notre seul avantage. Quel sens y aurait-il à prôner une universalité fermée ? la France ne peut protéger sa vision de l’universel sans expérimenter en retour une diversification sensible de son paysage social. Saura-t-elle intégrer à son « récit national » les multiples interactions qui en France comme ailleurs mettent les migrations au cœur des sociétés et le feront toujours d’avantage. »
Ce texte est une retranscription de la conclusion du discours inaugural de François Héran, nouveau titulaire de la chaire « Migrations et sociétés » du Collège de France, le 5 avril 2018. François Héran est agrégé de philosophie, sociologue, anthropologue et démographe. Il est le meilleur rempart contre la « politique d’opinion », les a priori idéologiques.
La vidéo ci-dessous reprend 45 minutes de son brillant discours inaugural.
La version complète est consultable ici :
https://www.youtube.com/watch?v=Ka53qgPUoYE
François Héran a déjà donné 3 cours, passionnants, qui intégralement accessibles en vidéo.
1er juin 2018 : Le savant, le politique et le populaire : quel vocabulaire pour les migrations ?
4 juin 2018 : Les migrations à l’échelle mondiale : logiques ordinaires et logiques de crise
13 juin 2018 : Les ordres de grandeur des migrations : réalités et perceptions
En janvier 2019 sont prévus plusieurs autres cours sur le thème :
Logiques migratoires : pourquoi partir ? Pourquoi rester ?
Tous les détails : https://www.college-de-france.fr/site/francois-heran/course-2018-2019.htm
La réalité (de la manipulation des chiffres) de l’immigration en Europe
Depuis la polémique autour de l’Aquarius, refusé par l’Italie, le gouvernement communique beaucoup en tentant de faire passer la France pour un pays accueillant, qui « prend sa part » dans l’accueil européen. Cette communication est bien vérouillée, habile, mais très souvent particulièrement malhonnête, si on prends le temps de se pencher sur la réalité des chiffres.
Quelques exemples…
La réalité de l’immigration en Europe : cette année l’Italie a reçu 18 000 demandes d’asile, la France 26 000.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 15 juin 2018
Ce chiffre rejoint ce qu’à déclaré Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : « L’Italie a délivré moins de titres de réfugiés que la France, 33 000, alors que nous c’était 40 000 ».
Que ce soit M. Macron ou M. Leschi, les chiffres avancés sont exacts, mais ne sont pas objectifs. Tel quel, ils laissent à penser que la France est un « bon élève » européen en terme d’accueil des demandeurs d’asile. C’est ce que tente d’affirmer Benjamin Griveaux quand il déclare :
La manipulation vient du fait que ces affirmations se basent sur des données très incomplètes, et ça n’est evidemment pas innocent. Regardons en détail les statistiques européennes de 2017, disponibles publiquement sur le site Eurostat.
Pour ne pas fausser les comparaisons, partons des 10 premiers pays d’accueil en Europe, c’est à dire ceux qui ont reçu plus de 15 000 demandes d’asiles. Si on s’en tient aux seuls chiffres dont parle gouvernement, en effet la France est « bien placée » en terme d’accueil :
Bien que très loin derrière l’Allemagne, nous sommes au 2e rang en terme de nombre de demandes d’asile déposées.
En terme de nombre de demandes d’asile accordées, nous sommes aussi au 2e rang :
Si l’on s’en tient aux 2 tableaux ci-dessus, comme le font M. Macron, Leschi et Griveaux, nous sommes en effet un pays qui « prend sa part » dans l’accueil des exilés. Mais pour être objectif, il ne faut pas prendre en compte le seul chiffre des demandes d’asile accordées, il faut le rapporter à la population du pays. Das ce cas, ni nous regardons le nombre de statut de réfugiés accordés par centaine d’habitant, nous redescendons à… la 7e position !
Et pour bien faire, il semble aussi nécessaire de prendre en compte le PIB du pays, et là, nous redescendons encore d’un rang, en 8e position :
Autre indicateur qui permet d’objectiver notre responsabilité dans l’accueil des demandeurs d’asile, le taux d’accord du statut de réfugié. Et là, nous redescendons… en dernière position :
Ce qui est assez révélateur sur l’objectivité et l’honnèteté de nos dirigeants, quand il ne se basent que sur les chiffres incomplets qui les arrangent, afin de faire croire que la France est un pays qui « prend sa part » dans la politique européenne d’accueil des exilés.
On ne peut pas accueillir toute la misère du monde
Tout le monde connait cette citation, tronquée, attribuée à Michel Rocard, mais dont l’origine est incertaine. Qu’importe, cette phrase est devenue classique et répétée, reprise par les médias, dans les discussions, comme une maxime qui se veut réaliste et résignée. Personne ne la discute plus, au mieux lui est ajouté « mais nous devons en prendre notre part », histoire de relativiser, d’amenuiser le sens premier.
Cette phrase, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », est presque arrivé au rang de proverbe, expression d’une vérité d’expérience, une sagesse pratique.
Pourtant, si on prend le temps de s’attarder sur sa forme, sur les mots employés, si on la déconstruit un peu, elle révèle très vite une malhonnêteté profonde. Cette phrase est un parfait exemple de ce que les mots peuvent avoir comme pouvoir néfaste, quand ils sont employés à mauvais escient.
Cette phrase est un mensonge, une manipulation, pas seulement dans ce qu’elle affirme, mais dans sa forme.
« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »… qu’est-ce que c’est, d’abord, « la misère du monde ». Est-ce qu’il n’est pas déjà honteux de le formuler ainsi alors qu’on parle d’hommes, femmes et enfants. Parce qu’il n’est pas ici question d’une « chose » immatérielle, informe, impersonnelle.
« LA misère du monde ». Non. Non, ici il est question des hommes, femmes et enfants qui ont eu la malchance de ne pas naitre au bon endroit. Aucune faute commise, aucune responsabilité à leur faire porter. Comme le dit la chanson, « être né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard ». Juste le hasard, la destinée, un coup du sort, qui fait qu’un être humain voit le jour dans un endroit où il ne fait pas bon vivre.
Et cet endroit, ce lieu de naissance qu’on a pas choisi, il sera d’autant plus fermé si la vie y est difficile.
Un européen pourra se rendre en moyenne dans 170 pays sans même avoir besoin d’un visa.
Pour un Soudanais, 40 pays seulement seront accessibles, et aucun de ces pays n’est européen. Pour un Afghan, les possibilités sont encore plus restreintes, seulement 24 pays. Il est bien sur toujours possible de demander un visa pour ces pays inaccessibles. Le demander est possible, oui. L’obtenir, non. A moins d’avoir de l’argent, beaucoup d’argent.
Donc si vous êtes né au Soudan du Sud, ou la moitié de la population souffre de malnutrition, ou les combats et la famine ont entraîné le déplacement de centaines de milliers de personnes, vous ne pouvez obtenir de visa pour venir légalement en Europe. Pas d’autre choix que de tenter sa chance en traversant le désert du Sahel, la Lybie et ses prisons, la traversée de la méditerranée, qui se transforme en cimetière pour des milliers de personnes. Puis l’Italie, ou vos empreintes seront prises de force, et enfin, peut-être la France, si vous avez la chance de ne pas croiser une milice privée de jeunes gens privilégiés, tout de bleu vêtu. Parce que vous serez devenus un « clandestin » qui a franchi une frontière illégalement. Vous ne demandiez pourtant que ça, vous, de venir légalement.
Si vous êtes né en Albanie, vous vivrez en dessous des conditions minimales de survie. Vous n’aurez pas de quoi faire vivre dignement votre famille, vos enfants. Vous aurez par contre la chance de pouvoir venir en France sans visa… mais vous n’aurez pas le droit d’y rester.
Si vous êtes né au Mali, vous aurez peu de chances de poursuivre des études. Vous aurez beau traverser la Méditerranée, risquer votre vie pour venir en France, pour pouvoir aller à l’école, pour devenir quelqu’un. La France refusera.
Elle refusera parce que… parce que vous êtes « la misère du monde ». C’est comme ça qu’elle vous appelle, la France. Et elle dit que la misère du monde, on ne peut pas l’accueillir. Elle se cache derrière cette phrase malhonnête.
S’il fallait être juste, elle bannirait cette phrase, elle l’interdirait, même.
Si elle assumait, elle dirait : « On ne veut pas aider les hommes, femmes et enfants qui n’ont pas le même confort de vie que nous, même s’ils meurent de faim ou sous les bombes. »
Mais c’est plus difficile à dire, à assumer. C’est pourtant la vérité, mais la vérité est plus difficile à regarder en face.
Lettre ouverte aux députés LREM qui ont commencé à prendre conscience de la dérive actuelle de la politique migratoire du gouvernement.
Cette lettre est « ouverte », mais s’adresse plus précisément aux 5 députés LREM qui ont eu le bon sens de voter « contre », le 07 décembre, à la proposition de loi mal-nommée « permettant une bonne application du régime asile européen », déposée par M. Warsmann, du tout aussi mal-nommée groupe « Les constructifs ». Ces 5 personnes sont : Stella Dupont, Nicole Le Peih, Ludovic Mendès, Mireille Robert, et Agnès Thill.
Merci à ces 5 personnes, qui ont su faire preuve d’indépendance d’esprit en votant contre cette proposition de loi inacceptable. Cette lettre s’adresse aussi aux 3 députés LREM qui ont eu un « cas de conscience » ce mardi 6 février, au moment de voter en 2e lecture cette même proposition de loi. Ces 3 députés sont Émilie Chalas, Stella Dupont et Mathieu Orphelin. Je regrette que vous vous soyez abstenus de voter contre, mais vous avez au moins le mérite d’avoir exprimé vos avis
Je ne suis pas député, ni affilié à aucun parti que ce soit, et ne le serait sans doute jamais. Je ne suis qu’un parmi des milliers de bénévoles qui accompagnent les demandeurs d’asile dans la défense de leurs droits, juridiques et fondamentaux. Depuis 3 ans j’accompagne des personnes en procédure Dublin, ce qui m’a permis de saisir à quel point ce règlement Dublin est incohérent et injuste.
J’ai suivi toutes les discussions à l’assemblée sur cette proposition de loi, et j’en suis ressorti atterré devant tant de décalage entre les propos tenus et la réalité. M. Warsmann vous a présenté de manière malhonnête sa proposition, en tentant de la faire passer pour une mesure « nécessaire », dans le seul but de combler un vide juridique. La réalité est pourtant simple : vous avez laissé passer une proposition de loi qui permet de placer en rétention administrative des VICTIMES d’un règlement européen injuste et irrationnel.
Un cadre juridique européen est nécessaire, indispensable. Mais pas tel qu’il est aujourd’hui. Sous sa forme actuelle, le règlement n’a d’autre effet que de forcer des demandeurs d’asile à déposer leur demande dans un pays qu’il n’ont pas forcément choisi, et dans lequel ils ont souvent moins de chances qu’ailleurs d’obtenir une protection. Et pour cela, chaque état dépense des milliers voir des millions d’euros, juste pour déplacer les personnes entre pays européens. Et ceci, sans rien changer au nombre de demandeurs d’asile à l’échelle européenne. Un gaspillage d’argent énorme, à la charge des contribuables.
Même les personnes qui sont « contre » l’accueil des réfugiés devraient s’opposer à ce règlement.
M. Collomb, comme M. Warsmann, tente de vous faire croire que les dublinés sont juste des personnes qui ont été déboutés du droit d’asile dans un autre pays, et vont ensuite le demander ailleurs, en tentant d' »abuser » du système.
C’est FAUX. Il suffit de 2 minutes pour aller vérifier les statistiques Eurostat pour le vérifier, seulement 1/3 environ sont dans ce cas, et s’ils le sont c’est pour une bonne raison : les chances d’obtenir le statut de réfugiés varient grandement d’un pays à l’autre. La faute en est à l’Europe, qui est incapable de mettre en place un régime d’asile européen commun. Les demandeurs d’asile n’y sont pour rien, nous n’avons pas les punir pour cela. La grande majorité des dublinés n’ont rien fait d’autre que de se faire contrôler et prendre leurs empreintes, le plus souvent de force, dans le pays frontalier par lequel ils sont entrés. Le règlement Dublin entre alors en vigueur, véritable piège juridique qui se referme sur eux. Un piège juridique injuste, dont ils sont victimes.
En laissant passer cette loi, vous avez fourni aux préfectures la possibilité de placer en rétention les victimes de ce règlement. M. Warsmann a beau jeu de déclarer que le but n’est pas de placer tous les dublinés en rétention… sa proposition de loi offre aux préfectures tous les moyens de le faire. Nous le constatons chaque jour sur le terrain, les préfectures usent et abusent de toutes les possibilités afin de pénaliser les demandeurs d’asile. Parfois même en engageant des procédures illégales ! Si vous ne me croyez pas je peux vous envoyer plusieurs jugements ou le tribunal administratif a condamné notre préfecture pour « irrégularité grave et manifeste ». Ce qui ne l’empêche en rien de continuer ces procédures… et en laissant passer cette loi, vous leur fournissez de nouvelles possibilités pour aller encore plus loin !
Le comble étant que le règlement Dublin dispose tout de même d’un article, un seul, qui permet au moins de prendre en compte des arguments humanitaires. Il s’agit de l’article 17, qui permet à tout préfet ou Etat d’accepter le dépôt de la demande d’asile pour des raisons humanitaires. Pour pouvoir en bénéficier, pas d’autres solutions que d’en exprimer la demande au préfet. Donc en exprimant le souhait de ne pas être expulsé.
Or, dans la loi que vous avez laissé passer, il est indiqué qu’un placement en rétention sera possible si « l’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert.» Vous avez donc potentiellement annulé le seul article humanitaire de ce règlement.
Mme Chalas, vous avez déclaré que vous voteriez ce texte par « bon sens, pragmatisme et efficacité« .
Le bon sens, ça aurait été d’aller passer une heure dans n’importe quel centre d’accueil de demandeur d’asile, pour discuter avec ces personnes, qu’elles vous racontent leur histoire, leur parcours.
Le pragmatisme, ça aurait été de ne pas écouter aveuglément les séances de lobbying interne prodigués par votre parti, et de vous renseigner par vous-même sur les réalités de ce règlement.
L’efficacité, ça aurait été de refuser de voter cette proposition de loi.
Mme Dupont vous avez déclaré que la réforme de la loi qui s’annonce vous permettra de « réparer » les imperfections de cette proposition. D’ici là, je me permettrais de tenir les comptes, et dès le moindre placement en rétention d’une personne dublinée, je vous en ferai part, à vous ainsi qu’à M. Warsmann et toutes les personnes qui ont voté celle loi.
Quand une loi permet de placer en rétention des hommes, femmes et enfants qui n’ont commis aucun délit, il n’est pas seulement question d’imperfection, mais d’innacceptable
7 décembre – nos députés ne se sont pas mobilisés, aidons-les à assumer !
Le 7 décembre, nos députés ont laissé passer une loi qui va permettre de placer facilement en rétention administrative les personnes en procédure Dublin, malgré l’inquiétude du défenseur des droits, malgré les multiples appels des associations, malgré les courriers envoyés par les citoyens.
Les rangs de l’assemblée étaient loin d’être remplis, 53 votants seulement. 41 pour, et seulement 11 votes contre.
53 députés présents sur 577, donc 90% d’abstention.
Tout le « débat » est visible en ligne, presque 4 heures de discussions sans grand intérêt, aucun débat de fond vraiment concret. Et toujours avec autant d’erreurs dans les chiffres.
M. Warsmann indique qu’il y aura 110 000 demandes d’asile en 2017, dont 30 000 en procédure Dublin.
M. Collomb indique que la moitié des demandes d’asiles sont faites par des dublinés.
A signaler quand même, les interventions de Marietta Karamanli et surtout celle de Stéphane Peu, le seul qui à mon sens à eu un discours concret et humaniste.
Les députés de la France insoumise étaient mobilisés, et ont eu des discours positifs, mais je n’ai honnêtement pas compris la « tactique », si c’en était une, de multiplier les propositions d’amendements, sans réel rapport direct avec le sujet. Pas sur que ca ait aidé en quoi que ce soit, au contraire.
Bilan, la loi a été votée. Sur 577 députés, 53 étaient présents, la plupart ne maitrisaient visiblement pas le sujet, et ont juste voté idéologiquement pour le principe de pouvoir placer en rétention des personnes afin de mieux pouvoir les expulser.
41 députés ont donc permit le vote de cette loi attentatoire au droit d’asile.
Je rappelle que selon un sondage de la Fondation pour l’innovation politique, 57% des français, soit 38 millions, disent qu’il est de notre devoir d’accueillir les réfugiés.
Je ne sais pas sous quel délai cette loi va commencer à s’appliquer, mais il est à craindre que rapidement nous allons constater une multiplication des placements en rétention des personnes dublinés que nous accompagnons.
Je vous soumet 2 idées :
1 – à chaque fois que nous constatons un placement en rétention d’une personne dubliné, nous envoyons un mail/lettre/message à nos députés. Sans donner de nom, par respect pour la personne accompagnée, mais en indiquant au minimum sa situation, son parcours.
2 – nous invitons dès maintenant nos députés à venir rencontrer les demandeurs d’asile. Sans journaliste, sans média, juste une rencontre humaine. Nous leur proposons de venir discuter une heure, d’écouter leur parcours (prévoyez des traducteurs).
Au printemps 2018 notre gouvernement va proposer une refonte complète de la loi sur l’immigration. Nos députés vont devoir la voter. Il me semble indispensable que nous les aidions à avoir une idée réelle de la situation humaine des hommes, femmes et enfants qui vont être directement touchés par les lois qu’ils vont voter.