Cette lettre est « ouverte », mais s’adresse plus précisément aux 5 députés LREM qui ont eu le bon sens de voter « contre », le 07 décembre, à la proposition de loi mal-nommée « permettant une bonne application du régime asile européen », déposée par M. Warsmann, du tout aussi mal-nommée groupe « Les constructifs ». Ces 5 personnes sont : Stella Dupont, Nicole Le Peih, Ludovic Mendès, Mireille Robert, et Agnès Thill.
Merci à ces 5 personnes, qui ont su faire preuve d’indépendance d’esprit en votant contre cette proposition de loi inacceptable. Cette lettre s’adresse aussi aux 3 députés LREM qui ont eu un « cas de conscience » ce mardi 6 février, au moment de voter en 2e lecture cette même proposition de loi. Ces 3 députés sont Émilie Chalas, Stella Dupont et Mathieu Orphelin. Je regrette que vous vous soyez abstenus de voter contre, mais vous avez au moins le mérite d’avoir exprimé vos avis
Je ne suis pas député, ni affilié à aucun parti que ce soit, et ne le serait sans doute jamais. Je ne suis qu’un parmi des milliers de bénévoles qui accompagnent les demandeurs d’asile dans la défense de leurs droits, juridiques et fondamentaux. Depuis 3 ans j’accompagne des personnes en procédure Dublin, ce qui m’a permis de saisir à quel point ce règlement Dublin est incohérent et injuste.
J’ai suivi toutes les discussions à l’assemblée sur cette proposition de loi, et j’en suis ressorti atterré devant tant de décalage entre les propos tenus et la réalité. M. Warsmann vous a présenté de manière malhonnête sa proposition, en tentant de la faire passer pour une mesure « nécessaire », dans le seul but de combler un vide juridique. La réalité est pourtant simple : vous avez laissé passer une proposition de loi qui permet de placer en rétention administrative des VICTIMES d’un règlement européen injuste et irrationnel.
Un cadre juridique européen est nécessaire, indispensable. Mais pas tel qu’il est aujourd’hui. Sous sa forme actuelle, le règlement n’a d’autre effet que de forcer des demandeurs d’asile à déposer leur demande dans un pays qu’il n’ont pas forcément choisi, et dans lequel ils ont souvent moins de chances qu’ailleurs d’obtenir une protection. Et pour cela, chaque état dépense des milliers voir des millions d’euros, juste pour déplacer les personnes entre pays européens. Et ceci, sans rien changer au nombre de demandeurs d’asile à l’échelle européenne. Un gaspillage d’argent énorme, à la charge des contribuables.
Même les personnes qui sont « contre » l’accueil des réfugiés devraient s’opposer à ce règlement.
M. Collomb, comme M. Warsmann, tente de vous faire croire que les dublinés sont juste des personnes qui ont été déboutés du droit d’asile dans un autre pays, et vont ensuite le demander ailleurs, en tentant d' »abuser » du système.
C’est FAUX. Il suffit de 2 minutes pour aller vérifier les statistiques Eurostat pour le vérifier, seulement 1/3 environ sont dans ce cas, et s’ils le sont c’est pour une bonne raison : les chances d’obtenir le statut de réfugiés varient grandement d’un pays à l’autre. La faute en est à l’Europe, qui est incapable de mettre en place un régime d’asile européen commun. Les demandeurs d’asile n’y sont pour rien, nous n’avons pas les punir pour cela. La grande majorité des dublinés n’ont rien fait d’autre que de se faire contrôler et prendre leurs empreintes, le plus souvent de force, dans le pays frontalier par lequel ils sont entrés. Le règlement Dublin entre alors en vigueur, véritable piège juridique qui se referme sur eux. Un piège juridique injuste, dont ils sont victimes.
En laissant passer cette loi, vous avez fourni aux préfectures la possibilité de placer en rétention les victimes de ce règlement. M. Warsmann a beau jeu de déclarer que le but n’est pas de placer tous les dublinés en rétention… sa proposition de loi offre aux préfectures tous les moyens de le faire. Nous le constatons chaque jour sur le terrain, les préfectures usent et abusent de toutes les possibilités afin de pénaliser les demandeurs d’asile. Parfois même en engageant des procédures illégales ! Si vous ne me croyez pas je peux vous envoyer plusieurs jugements ou le tribunal administratif a condamné notre préfecture pour « irrégularité grave et manifeste ». Ce qui ne l’empêche en rien de continuer ces procédures… et en laissant passer cette loi, vous leur fournissez de nouvelles possibilités pour aller encore plus loin !
Le comble étant que le règlement Dublin dispose tout de même d’un article, un seul, qui permet au moins de prendre en compte des arguments humanitaires. Il s’agit de l’article 17, qui permet à tout préfet ou Etat d’accepter le dépôt de la demande d’asile pour des raisons humanitaires. Pour pouvoir en bénéficier, pas d’autres solutions que d’en exprimer la demande au préfet. Donc en exprimant le souhait de ne pas être expulsé.
Or, dans la loi que vous avez laissé passer, il est indiqué qu’un placement en rétention sera possible si « l’étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert.» Vous avez donc potentiellement annulé le seul article humanitaire de ce règlement.
Mme Chalas, vous avez déclaré que vous voteriez ce texte par « bon sens, pragmatisme et efficacité« .
Le bon sens, ça aurait été d’aller passer une heure dans n’importe quel centre d’accueil de demandeur d’asile, pour discuter avec ces personnes, qu’elles vous racontent leur histoire, leur parcours.
Le pragmatisme, ça aurait été de ne pas écouter aveuglément les séances de lobbying interne prodigués par votre parti, et de vous renseigner par vous-même sur les réalités de ce règlement.
L’efficacité, ça aurait été de refuser de voter cette proposition de loi.
Mme Dupont vous avez déclaré que la réforme de la loi qui s’annonce vous permettra de « réparer » les imperfections de cette proposition. D’ici là, je me permettrais de tenir les comptes, et dès le moindre placement en rétention d’une personne dublinée, je vous en ferai part, à vous ainsi qu’à M. Warsmann et toutes les personnes qui ont voté celle loi.
Quand une loi permet de placer en rétention des hommes, femmes et enfants qui n’ont commis aucun délit, il n’est pas seulement question d’imperfection, mais d’innacceptable