C’est un tout petit bureau, 8m2 maximum, sans fenêtre, dans les coulisses du service immigration de la Préfecture. Nous sommes 3 physiquement autour du bureau, + un interprète afghan, avec qui nous dialoguons par téléphone, le combiné posé sur le bureau, en mode haut-parleur.
J’accompagne monsieur H., qui a été convoqué « pour organisation matérielle en vue de la mise à exécution de la mesure de réadmission en Allemagne ».
Pour parler clairement, nous sommes là aujourd’hui pour que soit remis à monsieur H. un billet d’avion qui va l’expulser en Allemagne… et il va avoir le choix entre aller par ses propres moyens à l’aéroport, ou demander à y être emmené par la police.
Madame O. est l’attachée de préfecture qui mène l’entretien. Sa mission est d’expliquer la procédure à monsieur H., de le faire signer et lui remettre le billet d’avion et les modalités. Pour ma part, je suis un simple bénévole qui accompagne monsieur H., à sa demande, afin de veiller au respect de la procédure et le soutenir aussi, un peu.
Monsieur H. est Afghan, il a quitté son pays parce que sa vie y était menacée. Sur son dossier est précisé qu’il est passé par le Pakistan, l’Iran, la Grèce, la Macédoine, la Serbie, la Croatie, l’Autriche et est arrivé en Allemagne début 2016, où il a déposé une demande d’asile. Ça n’était pas une bonne option : en 2016, ce pays a refusé l’asile à un Afghan sur deux. En France, il aurait eu 8 chances sur 10 d’obtenir l’asile.
Mais il n’a sans doute pas eu le choix : un accord européen dit « accord de Dublin« , fait qu’il devait demander la protection du premier pays européen où il était entré… enfin, le premier où ses empreintes auraient été prises (parfois de force). Comme il ne lui était pas possible d’obtenir un visa pour l’Europe, il est venu par voie terrestre, et n’a donc pas vraiment eu le choix.
Sa demande d’asile ayant été refusée en Allemagne, il craignait d’être renvoyé en Afghanistan. Ces craintes sont fondées, l’Allemagne, comme d’autres pays européens, a signé des accords avec certains pays, qui facilitent le retour forcé des personnes déboutées du droit d’asile. Monsieur H. est donc venu en France, espérant que ce pays lui offre sa protection. Mais arrivé à Paris, il a été auditionné par la préfecture de Police, puis devait avoir un autre rendez-vous afin de déposer officiellement une demande d’asile. Il aurait été mis en procédure « Dublin », mais aurait au moins pu bénéficier d’un peu d’aide le temps de l’étude de son dossier. La France pouvait, pour des raisons humanitaires, décider d’étudier sa demande. Mais pour cela, il aurait fallu au moins permettre à monsieur H. d’exposer ses raisons humanitaires.
Ça n’a pas été le cas, une fois arrivé en Bretagne, la préfecture a convoqué monsieur H., et a procédé directement à sa « réadmission », c’est à dire l’organisation de son expulsion vers l’Allemagne. C’est pourtant illégal, le dépôt d’une demande d’asile est un droit. Mais lors d’une précédente convocation, où l’accompagnement m’a été refusé, monsieur H. aurait dit qu’il ne voulait pas demander l’asile en France. Lui dit qu’on ne lui a pas laissé le choix. Je n’étais pas présent, donc je ne peux rien affirmer… mais je sais pourtant que cela faisait plusieurs semaines qu’il exprimait son souhait de rester ici.
En tout cas, aujourd’hui je suis dans ce bureau, mais je ne peux plus faire grand-chose. Nous avons juste dit à Monsieur H., que nous savons poli, respectueux, de ne pas hésiter à poser des questions pour bien tout comprendre. Alors quand l’attachée de la préfecture lui donne la parole, il parle, longuement, penché vers le téléphone pour être sûr que l’interprète puisse bien entendre. Je ne comprends rien, madame O. non plus, donc nous attendons patiemment qu’il ait fini. Je crois discerner plusieurs fois mon prénom, mais je me dis que ce doit être un mot afghan qui y ressemble.
Quand il s’arrête, monsieur H. se redresse, et cette fois c’est madame O. et moi qui nous penchons sur le combiné pour bien entendre l’interprète : « Monsieur H. veut tout d’abord remercier Monsieur David pour son aide… »
C’était bien mon prénom, donc. Monsieur H. est poli, respectueux. Tellement respectueux qu’il tient à me remercier avant même de pouvoir enfin exposer sa situation, ce qu’il attend pourtant depuis des semaines.
L’interprète continue la traduction, explique que Monsieur H. ne comprends pas que la préfecture veuille le renvoyer en Allemagne, alors que ce pays l’a déjà refusé, il craint d’être renvoyé en Afghanistan, où il ne peut plus retourner sans être en danger… ». Madame O. l’interrompt : « Nous ne sommes pas là pour débattre de la loi Dublin, nous sommes là pour signifier à Monsieur qu’il doit prendre un vol mardi prochain pour retourner en Allemagne, qu’il me dise comment il souhaite se rendre à l’aéroport, et s’il va signer les papiers que je vais lui remettre. Sachant que s’ils ne les signent pas, ça ne change rien, et ça n’empêchera pas qu’il doive prendre l’avion mardi. »
Monsieur H. est poli et respectueux, donc il ne se rebelle pas, ne contredit pas. Il demande juste à l’interprète de voir avec moi si un recours est encore possible. Je commence donc à prendre la parole mais madame O. me coupe : « Que les choses soient claires, la préfecture ne paye pas des interprètes pour les associations. Si la Ligue des droits de l’Homme a besoin d’un interprète, elle n’a qu’à le financer. »
Les choses sont claires, j’ai le droit d’être présent, mais pas le droit d’intervenir, en tout cas pas via l’interprète. Je ne sers donc pas à grand-chose, juste une sorte de garde-fou vis-à-vis d’une administration décomplexée qui, parfois, n’hésite plus à jouer avec les limites de la légalité.
Monsieur H. reprend la parole, longuement. Quand il s’arrête, l’interprète marque un temps d’arrêt, visiblement hésitant… puis fini par dire à madame O. : « Contractuellement, je suis tenu de dire tout ce que me dit monsieur, c’est bien ça ? ».
Comme Madame O. confirme, il traduit : « Monsieur dit qu’il ne comprends pourquoi vous vous fâchez contre monsieur David, alors qu’il veut juste l’aider…”. Voilà, la seule fois ou monsieur H. se sera permis de contredire l’administration, ce sera pour me défendre… Poli et respectueux, trop respectueux, face à cette administration intraitable.
L’interprète continue :
« Monsieur dit qu’il ne comprend pas, que ça fait des semaines qu’il n’a aucune aide, et qu’il est obligé de réclamer pour avoir, ne serait-ce qu’un peu de savon pour se laver. Il dit qu’il n’est pas animal, mais un être humain… »
Réponse de madame O. :
« ça n’est pas à moi d’en juger, je ne fais qu’appliquer les décisions du Préfet ».
Silence dans le bureau… Monsieur H. attendait que l’interprète traduise, mais ce dernier s’est abstenu.
Il a dû considérer, comme moi, que Madame O. n’avait pas écouté la question. Je n’en veux pas à Madame O., même si elle le voulait, elle ne serait pas en mesure de gérer autrement ces entretiens. Elle ne peut pas entrer dans des considérations humanitaires, elle s’y perdrait. Ce n’est pas elle la fautive, mais l’administration.
Monsieur H. a fini par signer. Dès la sortie, nous avons cherché des recours possibles, en vain.
Le 25 juillet, à 4h du matin la police est venue le chercher dans son centre, et l’a conduit à l’aéroport.
Il a embarqué par le vol de 6h15 au départ de Brest, escale à Paris, puis arrivée à Munich. Aux dernières nouvelles, il est dans un camp de réfugiés, en attente de ce que décidera l’administration allemande
Est-ce que l’Allemagne va accepter de réétudier sa demande d’asile ? Peu probable.
Est-ce que l’Allemagne va l’expulser vers l’Afghanistan ? Nous le saurons sous peu.
Le 23 juillet, un attentat des talibans a fait 23 morts à Kaboul.
Courage à vous tous qui aidez ces personnes et courage à elles. L administration est sans pitié et préfère payer des billets d avions pour expulser ces pauvres gens plutôt que les nourrir et les loger. Honte au pays des droits de l homme.
Merci pour mr H. David Thorondel . Donnez nous des nouvelles.
Merci pour ce témoignage.
Texte excellent.
merci.
monique Férec Collectes solidarité réfugiés
S il y a des avocats qui lisent ce témoignage de david nous avons urgemment besoin de connaitre comment contrer ce « procédé » (cesa) mis en place par certaines prefectures. Déposer une demande d asile est un droit et en notifiant des réadmissions de ce type sans aucune études du dossier les prefectures sont dans l illegalité non? Mais comment empêcher ces renvois ???
De nombreuses personnes envoyées en cao ou en pradha à partir du centre de la chapelle à paris risquent de se retrouver dans cette meme situation. Im y a urgence à trouver les parades.
Merci de votre aide