Plus l’émigration est vitale, plus elle est entravée

19 octobre 2018 Exilés, Extrême droite Comments (0) 3250

Clandestins. Illégaux. Voici comment certains appellent les étrangers qui demandent à l’Europe de leur accorder une protection.

Quant à ceux qui les aident, ils sont forcément des utopistes naïfs inconscients, qui participent à l’ « invasion » de la France et de l’Europe. Au pire, des « collabos », des complices de la traite humaine, voire du terrorisme… des « pro-migrants islamo-gauchistes ».

Nous sommes enfermés dans un discours manichéen, une vision bipolaire d’un sujet qui est pourtant infiniment complexe, pour lequel il est impossible de faire l’impasse d’une réflexion de fond. Au lieu de se poser la (mauvaise) question de savoir si on est « pour » ou « contre » la migration, il est important d’essayer d’avoir une vision la plus neutre et objective possible.

Nous sommes un peu plus de 7,5 milliards d’habitants dans le monde, répartis dans un peu moins de 200 pays. Les inégalités mondiales se creusent au fil du temps. Un des indicateurs permettant de le mesurer est le PIB par habitant.

La carte ci-dessous permet d’avoir une vue globale des disparités entre pays et continents :

 

Plus précisément, ce graphique permet de comparer le PIB par habitant en Europe, en France et dans les 10 premiers pays d’origine des demandeurs d’asile de ces dernières années :

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_par_habitant

 

La carte ci-dessous, qui indique les risques sécuritaires et politiques, montre bien la corrélation entre l’économie et la sécurité :

Source : https://www.controlrisks.com/riskmap-2018/maps

 

Autre inégalité encore plus flagrante, celle de la mobilité. Ci-dessous une carte du monde qui montre les différences de « puissance » des différents passeports :

Source : https://www.passportindex.org/byRank.php

En tant que Français, je peux accéder à 188 pays sans même avoir besoin d’un visa. Ne fuyant ni la guerre ni la misère, toute installation dans un autre pays ne serait rien d’autre qu’une emmigration économique, ou « de confort ». Un Afghan, lui, ne peut se rendre que dans une trentaine de pays sans visa, et aucun de ces pays n’est européen. Idem pour un Soudanais.

Ce qui démontre le paradoxe suivant : nous « condamnons » l’émigration économique, mais nous sommes les premiers à la pratiquer. Et plus l’émigration est vitale, plus nous l’entravons.

En 1951, la France et beaucoup d’autres pays ont signé la convention de Genève relative au statut de réfugié, nous nous sommes engagés à accueillir et accorder une protection aux personnes qui fuient les persécutions. Aujourd’hui, l’Europe ne respecte plus ses engagements. Une étude du centre de recherche de l’Union Européenne indique que 90% des personnes qui obtiennent le statut de réfugiés sont entrés de manière irrégulière en Europe. Ça n’est pas par choix, c’est la conséquence de l’incapacité des Etats membres à proposer des voies légales d’immigration. Qui peux croire un seul instant que ces hommes femmes et enfants, si elles en avaient la possibilité, ne préféreraient pas venir avec un visa, en payant un billet d’avion ou un bateau régulier, en toute sécurité ?

C’est la France, l’Europe, qui fait le jeu des passeurs en continuant de refuser d’ouvrir des voies légales d’immigration. C’est nous qui créons les conditions obligeant les personnes à entrer de manière irrégulière. C’est nous qui fermons nos frontières et laissons mourir à nos portes des milliers d’hommes, femmes et enfants. Pire, certains souhaitent entraver ceux qui, comme l’Aquarius, partent en mer pour leur mission d’assistance.

Quand l’extrême-droite parle de « clandestins », accuse les ONG de complicité avec les passeurs, elle est dans une posture d’une mauvaise foi absolue et d’une malhonneteté flagrante. C’est la même mauvaise foi absolue qui permet à certains de dire que ce serait plus « humanitaire » de ne pas aller porter secours aux embarcations au large de la Libye, ou alors de ramener dans ce pays les bateaux.

Pour se rendre compte de la lâcheté de cette solution, je vous conseille le visionnage d’une vidéo de l’asso Forensic, qui a reconstitué un sauvetage effectué par les garde-côtes Libyen, en novembre 2017. On peut y voir un bateau Libyen qui laisse se noyer 2 personnes, au minimum. Les personnes recueillies sur leur ponton sont contenues à coup de cordes. L’une d’elle préfère essayer de s’enfuir, elle saute du bateau, essaye de s’accrocher à une échelle, et les garde-côtes démarrent le bateau malgré tout. On entend un hélicoptère des autorités italienne qui implore le bateau Libyen de s’arrêter, qui leur répète par radio qu’ils sont en train de tuer un homme. Pas de réponse du bateau, qui part en relevant l’échelle. C’est un bateau officiel des autorités libyennes. Ce rapport d’Amnesty international est lui aussi édifiant.

Prétendre que c’est pour « rendre effectif le droit d’asile » qu’il faut fermer les frontières, c’est un mensonge. A l’échelle européenne, 55% des demandeurs d’asile obtiennent une protection (538 000 en 2017). Pour obtenir une protection, il a fallu PROUVER qu’un retour au pays d’origine signifiait un danger de mort.  Cela ne veut pas dire que ceux qui sont débouté du droit d’asile ne sont pas en danger de mort, juste qu’ils n’ont pas réussi à le prouver. 90% des réfugiés ont été contraints d’entrer en Europe de manière illégale. Fermer les frontières, refuser d’ouvrir des voies légales d’immigration, reviendrait à laisser en danger de mort plus de 500 000 personnes par an.

Sur l’aspect « dissuasif » qu’il pourrait y avoir à stopper les secours en mer  : il est impossible de prévoir si cela marcherait… mais il est toutefois possible d’affirmer que même si cela fonctionnait, cela prendrait au mieux plusieurs mois. Et pendant ces quelques mois, il y aurait des centaines voir des milliers de morts en mer. Depuis le début de l’année, plus de 1800 hommes, femmes et enfants ont perdus la vie en Méditerranée.

Quand les Identitaires, le Rassemblement National, et quelques autres demandent l’arrêt des sauvetages en mer, la fermeture des frontières, ils assument clairement la responsabilité de la mort de plusieurs centaines voire milliers d’hommes, femmes et enfants. Ils doivent considérer que c’est un « sacrifice acceptable ». L’histoire bégaye.

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