Réponse d’un droit-de-l’hommiste à un président qui méprise les valeurs de la République

5 novembre 2019 Exilés, Extrême droite Comments (0) 3243

M. Macron, vous avez accordé une interview au magazine d’extrême-droite « Valeurs actuelles ». Était-ce une erreur, un piège, je n’ai pas d’avis tranché sur cette question. Je tiens à éviter la « posture » de critique systématique, je ne suis pas en désaccord sur tout, mais certains propos que vous y tenez me semblent difficilement acceptables.

Candidat, vous avez déclaré à propos du fameux « en même temps », que cela signifiait que vous « preniez en compte des impératifs qui paraissent opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement de la société ».

Cet « en même temps » est parfaitement acceptable, il induit une volonté de réalisme, un refus du manichéisme qui est salutaire. Aujourd’hui, cet « en même temps » positif s’est transformé en symptôme d’une presque dissonance cognitive, une incohérence flagrante et inquiétante entre vos paroles et vos actes.

 

Comment pouvez-vous dire : « Je tiens au droit d’asile, mais je ne crois pas du tout en revanche qu’il faille avoir un discours simplificateur sur l’immigration. Je rejoins François Héran, un de nos meilleurs spécialistes sur l’immigration, même s’il a pu être très critique sur mes propos. Lui et Patrick Weil ont montré que nous avons toujours été une terre d ‘immigration. » … et « en même temps » avoir une politique basée sur des arguments qui rejettent les données des spécialistes comme ceux que vous citez ? Quand vous dites publiquement que la France accueille plus et mieux que ses voisins européens, c’est non seulement un discours simplificateur mais aussi mensonger, François Héran l’a parfaitement explicité à plusieurs reprises.

Le Monde : François Héran : « Il est temps que nos dirigeants tiennent sur l’immigration une parole de raison plutôt qu’un discours de peur »

 

Comment pouvez-vous dire rejoindre les propos de François Héran, tout en déclarant encore que « Notre système est plus généreux. Ça ne va pas. » ? C’est faux, notre système n’est pas plus généreux que les autres pays européens. Nous avons un taux d’obtention de l’asile plus bas que la moyenne, les statistiques officielles d’Eurostat le démontrent, nous sommes au 25e rang européen en première instance, et au 13e rang en appel (source).

Vous qui croyez en l’Europe, en une solution européenne à la question migratoire, comment pouvez-vous vous faire passer pour « progressiste », alors que nous sommes, à l’échelle européenne, un « mauvais élève » en termes d’accueil des demandeurs d’asile, seulement au 15e rang si l’on prend en compte le ratio de personnes accueillies relatives à la population et au PIB ?

 

Comment pouvez-vous dire aujourd’hui, au sujet du règlement Dublin : « Il faut qu’on sorte des dogmes sur la responsabilité des pays de première entrée, sinon nous n’aurons jamais avec nous les italiens« … alors que disiez il y a quelques mois qu’il ne fallait pas revenir sur ce règlement, sous peine de déresponsabiliser les pays frontaliers (source) ?

Est-il vraiment juste de s’enorgueillir d’avoir initié, avec l’Allemagne, un accord de « mécanisme de solidarité » permettant une répartition systématique des demandeurs d’asile secourus en Méditerranée, ce qui va concerner au mieux quelques dizaines de personnes… alors que « en même temps », chaque jour la France expulse des demandeurs d’asile en Italie, au nom de ce même règlement Dublin, qui n’est pourtant pas obligatoire.

Comment pouvez-vous déclarer refuser les discours simplificateurs, alors qu' »en même temps » votre gouvernement lui-même fourni à ses parlementaires des documents mensongers afin d’orienter leurs opinions ?

Comment pouvez-vous dire que vous « tenez au droit d’asile » alors qu' »en même temps » vous en avez restreint l’accès par la une énième réforme de la loi, en multipliant les barrières juridiques et administratives ? Comment pouvez-vous laissez « Valeurs actuelles » dire « que le droit est du côté de l’immigration », alors que nous le constatons chaque jour, les Préfectures elle-même ne respectent pas la loi en termes d’accès à un titre de séjour, et quand nous le leur faisons remarquer ils nous répondent : « Ce sont les consignes » ?

  

Comment pouvez-vous dire « Le problème, c’est les plus de 100 000 demandeurs d’asile, dont une très faible minorité obtient le droit d’asile. » ? Comment pouvez-vous insinuer dans un magazine d’extrême-droite qu’une « très faible minorité » des exilés « méritent » une protection ? Vous connaissez forcément les chiffres : 35% des demandeurs d’asile obtiennent une protection en France (53% au niveau européen), et pour cela ils ont dû PROUVER qu’ils étaient en danger de mort en cas de retour dans leur pays.

Comment osez-vous parler de « détournement du droit d’asile », regretter que la France accorde trop de visas, alors que 90% des personnes obtenant une protection n’ont eu d’autres choix que d’entrer illégalement en Europe, justement parce que l’Union Européenne refuse d’ouvrir des voies légales d’immigration ?

Pour finir avec cet article, je reviens sur cette phrase : « Pendant la campagne, je les avais face à moi, ces droits-de-l’hommiste la main sur le cœur.« 

Il est particulièrement choquant que vous repreniez à votre compte la rhétorique méprisante d’extrême-droite, je me permets de vous rappeler que les citoyens attentifs au respect des droits de l’Homme sont pour l’ÉGALITÉ.

Les citoyens ayant la main sur le cœur croient dans les valeurs de FRATERNITÉ.

En une phrase, vous, président de la république, avez démontré que vous méprisiez les valeurs de la république.

Monsieur le Président, j’ai voté pour vous au second tour de l’élection présidentielle. Je ne l’ai pas fait par adéquation avec votre projet politique, mais pour faire barrage au Front National. Et je vais vous faire une confidence, j’ai même cru un instant en vous, en votre capacité de faire changer les choses, au-delà des clivages politiques.

Je n’ai de carte dans aucun parti et n’en aurais jamais.

Je ne suis ni sociologue, ni politologue, Je ne prétends pas être en mesure de juger et d’avoir un avis sur tous les sujets politique, mais depuis 4 ans j’accompagne des demandeurs d’asile dans leurs procédures. J’écoute vos propos, je suis les débats à l’Assemblée nationale, au Sénat, en Commission des lois. Je vis sur le terrain, au quotidien, la réalité des conséquences et choix politiques.

Aujourd’hui, 2 ans et demi après le début de votre mandat, je n’ai jamais aussi peu cru en la politique. J’ai constaté les mensonges dans vos documents, les manipulations, les discordances entre les actes et les paroles.

Je ne peux juger que ce qui concerne la politique d’asile et d’immigration, mais comment ne pas croire qu’il en soit de même sur tous les autres sujets ? Il ne m’est plus possible de croire en votre politique, ni dans la politique au sens large.

Je n’ai jamais considéré le Rassemblement National comme un parti politique. C’est un parti idéologique, qui a fait du mensonge un procédé de manipulation opportuniste. En procédant comme eux, vous ne leur faites pas barrage, vous cautionnez leurs méthodes et leur servez de marchepied.

Si aux prochaines élections vous vous retrouvez en face de Marine Le Pen, je ne voterais pas pour vous. Je glisserai un bulletin blanc dans l’urne, ce qui ne servira à rien, vu que vous n’avez pas retenu l’option de sa reconnaissance… 

Je crains que nous ne soyons nombreux à faire de même. Si c’est le cas, j’espère que vous vous souviendrez de vos mots d’aujourd’hui, ou vous considérez que 35% des demandes d’asile accordées constituent une « très faible minorité ». En 2017, vous avez obtenu à peine 43% des voix des personnes inscrites sur les listes.

Et si c’est Marine Le Pen qui accède à la présidence, nous serons nombreux à nous mobiliser pour dénoncer les mensonges gouvernementaux.

Vous nous aurez au moins servi d’entraînement.

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