Le 18 décembre a été publié le « Schéma national des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés« , par le Ministère de l’intérieur.
Ce document détaille le programme d’évolution des dispositifs d’hébergement des demandeurs d’asile, sur les 3 prochaines années.
L’objectif annoncé par le gouvernement est de mieux répartir les demandeurs d’asile, afin de réduire le déséquilibre actuel dans la prise en charge au sein de la métroploe. Cet objectif est, à première vue, positif, mais les moyens proposés pour y arriver soulève beaucoup de questions.
UN BILAN INCOMPLET DES CARENCES
Comme le rapport l’indique, la moitié seulement des demandeurs d’asile accède à un hébergement le temps de la procédure, et ce pourcentage varie selon les régions.
Cette insuffisance est reconnue par le gouvernement, mais ce dernier occulte une conséquence catastrophique de cette carence : l’accès à une protection est très inégalitaire au sein de l’exagone.
Chaque année le rapport annuel de l’OFPRA détaille, par département, le nombre de demandes d’asile étudiées et le nombre de protection accordée par l’OFPRA et la CNDA.
Comme le montre le tableau ci-dessous, le taux d’obtention d’une protection varie du simple au quintuple !

Le département le plus bas, la Moselle, présente un taux de 14,2% alors que l’Orne monte à 72,8% ! Pourtant toutes les demandes d’asile sont étudiées lors d’un entretien à l’OFRA, à Fontenay-Sous-Bois, ou la CNDA à Montreuil.
Ces inégalités peuvent s’expliquer pour certains départements de la région Grand-Est, ou sont sur-représentés les demandeurs d’asile venant des pays de l’Est, ayant un taux d’accord très bas.
Pour toutes les autres régions, ces inégalités peuvent paraître injustifiées mais s’expliquent en étudiant les disparités dans la prise en charge.
Le tableau régional ci-dessous recoupe différents critères : le pourcentage d’obtention d’une protection, le ratio entre le nombre de places d’hébergement et le nombre de demandeurs d’asile par milliers d’habitants.

Il met en évidence le fait que plus les demandeurs d’asile ont potentiellement accès à un hébergement, donc à un accompagnement par des travailleurs sociaux, plus ils ont de chances d’accéder à une protection.
DES MOYENS INSUFFISANTS
Partant de ce constat, l’objectif d’un ré-équilibrage est positif mais les moyens déployés semblent trop insuffisants pour espérer une amélioration concrète et équitable.
Le plus grand risque est que les conditions d’accueil en Ile-de-France ne s’améliorent que très peu et que les conditions d’accueil en région se détériorent, tant le nombre de places créées est insuffisant ou insuffisament préparés.
Preuve en est que les orientations régionales depuis l’Ile-de-France vont commencer dès Janvier 2021, alors que les appels à projet pour ouvrir les centres nécessaires ne prévoient une ouverture qu’à partir du 15 mars !
En Bretagne par exemple, ou les centres d’accueils sont déjà tous pleins et ou une bonne partie des demandeurs d’asile n’obtiennent pas d’hébergement, le « SNADAR » prévoit d’y rediriger 93 personnes par mois en plus… puis 122 personnes par mois au second trimestre. Soit 645 demandeurs d’asiles supplémentaires sur le premier semestre, alors que n’est prévu l’ouverture que de 250 places perennes supplémentaires sur l’année et seulement à partir du mois de mars.
Les objectifs semblent donc dès le départ inatteignables.

UNE VIGILANCE INDISPENSABLE DES CONSÉQUENCES DE CE « DUBLINAGE » NATIONAL
Un autre risque potentiel de cette évolution sera une précarisation des demandeurs d’asile. En effet, le principe retenu par le gouvernement est que lorsqu’un demandeur d’asile dépose une demande d’asile dans une région dites « excédentaire », c’est-à-dire actuellement l’Ile-de-France, il lui sera « proposé » d’aller continuer sa procédure dans une autre région considérée comme « déficitaire ». La proposition n’en est en fait pas une, vu que si le demandeur d’asile refuse cette orientation elle perdra alors les « conditions matérielles d’accueil », c’est à dire l’allocation de demande d’asile (210€/mois pour une personne seule hébergée, 420€/mois si elle n’est pas hébergée).
Si elle refuse elle se retrouvera à la rue et sans aucune ressources.
La France s’apprête donc à mettre en place une sorte de « procédure Dublin nationale », visant à imposer au demandeur la région ou il résidera le temps de sa procédure.
Même si les critères d’orientation sont moins incohérents que le règlement Dublin européen, il est à craindre qu’une partie des demandeurs risque de refuser cette orientation et préférer la précarité plutôt que de se voir imposer un transfert dans une autre région. La raison est assez simple : quand un demandeur dépose une demande dans une région, il le fait généralement pour des raisons objectives : parce qu’il y connait des personnes, donc des facilités d’intégration.
La règlement Dublin a démontré son ineficacité et ses effets pervers (une effectivité de 15% pour un gaspillage estimé par le centre de recherche européen à entre 2,4 et 4,9 milliards d’euros/an). Tous les pays européens s’accordent sur ses effets pervers et une nécessaire remise en cause de son fonctionnement.
Il est donc légitime de s’inquiéter de voir la France adapter nationalement un fonctionnement européen inefficace et coûteux.
Il faut espérer que les bilans réguliers prévus par le gouvernement seront faits de manière objective et que les acteurs associatifs de terrain y seront associés.