Suspicion, rétention, expulsion

1 décembre 2017 Exilés, Extrême droite Comments (2) 6803

La politique d’immigration française dérive, même pas lentement, mais surement, vers l’inacceptable.

Dans la ligne de mire : les « dublinés », c’est à dire les étrangers victimes de ce règlement européen absurde et irrationnel qui leur impose de demander l’asile dans un pays qu’ils n’ont pas forcément choisi, et qui n’est pas forcément celui qui est prêt à les accueillir.

Nouvel épisode dans cette traque abjecte : une proposition de loi portée par des membres du mouvement « les constructifs », qui porte bien mal son nom.

La proposition de loi en question est tout aussi mal-nommée : « Proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen ».

En fait de « bonne application », il est ici tout simplement question de faire en sorte de placer en rétention plus facilement et plus rapidement les personnes en procédure Dublin. Pour résumer, la cour de cassation européenne a récemment statué sur le fait que le placement en centre de rétention des personnes dublinées était illégale, parce que conditionnée à des critères objectifs sur les craintes de fuite de la personne, absents dans le droit français.

Ce qui n’a absolument pas empêché un certain nombre de préfectures de continuer les placements en rétention, comme l’a relevé la Cimade.

Cette proposition de loi avait donc pour objectif de répondre à la cour de cassation européenne, afin de permettre à nouveau le placement en rétention des personnes dublinées, dans le but de faciliter leur expulsion. Cette proposition de loi a été adoptée le 29 novembre par la commission des lois de l’assemblée nationale*. En clair, si cette loi est adoptée définitivement, il suffira qu’une personne dise qu’elle n’est pas d’accord pour être expulsée, pour justifier son placement en rétention et la priver de liberté pendant des semaines voir des mois. Il était possible de suivre en direct les discussions, et celles-ci ont été révélatrices (l’intégralité est visionnable ici).

Dès l’introduction par le rapporteur de cette proposition, le ton est donné : M. Warsmann justifie sa proposition sur le fait de la nette augmentation des demandes d’asile, en citant des chiffres erronés. Il dit par exemple que les 25 000 dublinés estimés en 2016 font partie des 85 000 demandes d’asile déposées cette année-là. Ce qui est faux, les personnes en procédure Dublin ne rentrent pas dans les statistiques de demande d’asile de l’Ofpra.

Ce qui révèle déjà un manque de connaissance du sujet, plus que préoccupant pour un rapporteur d’une proposition de loi sur le sujet.

Dans cette même introduction M. Warsmann indique que les 25 000 dublinés de 2016 sont des personnes ayant déjà déposés une demande d’asile dans un autre pays, ce qui leur a été refusé, et qui viennent ensuite retenter leur chance en France.

Là aussi c’est faux : les dublinés ne sont pas tous dans ce cas de figure ! Cela ne concerne qu’entre la moitié et les 2/3, il est difficile d’en avoir une idée exacte : les statistiques eurostat sur le sujet font état de 8 000 dublinés dits en « catégorie 2 », c’est à dire qu’ils n’ont pas déposé de demande d’asile ailleurs, mais juste que leurs empreintes ont été prises dans un autre pays européen. Dans les 17 000 autres cas, donc pour lesquels une demande d’asile a été formulée dans un autre pays, il n’y a pas de statistiques sur le nombre de demandes « passives ». Il est très fréquent que les personnes se voient prendre leurs empreintes dans le premier pays ou elles sont contrôlées, en Italie notamment, et que cette prise d’empreintes aboutisse sur un dépôt de demande d’asile sans qu’elle n’en ait jamais formulée la demande.

Une erreur flagrante, et une approximation tendancieuse… 2 raisons qui peuvent logiquement laisser à penser que cette proposition loi a été formulée pour des raisons idéologiques plus qu’objectives.

C’est au mieux un signe d’incompétence, au pire de malhonnêteté idéologique.

Lors du débat de cette séance, il est à noter que, comme d’habitude, les mêmes députés de droite et d’extrême-droite ont brillé par leurs outrances : Eric Ciotti, des Républicains, souhaite aller encore plus loin et systématiser le placement en rétention des dublinés…

Quand à Marie-France Lorho, député d’extrême-droite du Vaucluse, son discours outrancier habituel ne varie pas : les étrangers mentent, abusent, et les français en ont marre, et il faut encore plus durcir la loi !

Marietta Karamanli (nouvelle gauche), va un peu recadrer le sujet, sans revenir sur le fond, hélas. Seul le député de la France insoumise, Ugo Bernalicis, tiens un discours allant dans un sens un peu plus humain, mais un peu maladroitement, et toujours sans revenir sur le fond et sans relever les erreurs et approximations.

Et c’est pourtant du fond qu’il aurait été important de discuter, des justifications de cette proposition de loi. En clair, cette proposition de loi vise à permettre une plus grande effectivité du règlement Dublin, et donc à augmenter le nombre d’expulsions liées à ce règlement.

Or le règlement Dublin est totalement irrationnel, et plus il est effectif plus il est irrationnel. Les personnes qui arrivent en Europe pour demander une protection doivent avoir le choix du pays à qui elle vont demander l’asile. En quoi sommes-nous légitimes à imposer dans quel pays elle doit se réfugier ?

Oui, certaines personnes font une demande d’asile dans un premier pays, ont un refus, et veulent tenter leur chance ailleurs. Là encore, en quoi sommes-nous légitimes à nous y opposer, sachant que les critères d’obtention du statut de réfugié ne sont pas uniformes en Europe ? Un afghan, à situation égale, aura 23% de chances d’obtenir le statut de réfugié en Norvège, et 82% en France. Un Somalien, toujours à situation égale, aura 32% de chances d’obtenir le statut en France, contre 82% en Allemagne (sources Eurostat).

L’Europe est incapable d’avoir un régime d’asile européen commun, et les demandeurs d’asile n’en sont pas responsables. Donc nous ne sommes pas légitimes quand nous leur refusons de déposer une demande dans un pays où ils potentiellement plus de chances d’être protégés.

Le règlement Dublin n’a qu’une seule conséquence : dépenser des millions d’euros pour déplacer les demandeurs d’asile entre pays européens.

Plus il sera effectif, plus il y aura d’expulsions, donc plus il coutera cher, tout ça sans rien changer au nombre de demandeurs d’asile à l’échelle européenne.

Oui, actuellement le pourcentage d’expulsion n’est que d’une petite dizaine de %.
Et c’est une bonne chose… 10%, c’est déjà 10% de trop.

Oui, les bénévoles et les associations aident les dublinés à échapper à ce règlement absurde, en les aidant à défendre leurs droits avec des avocats, et elles continueront de le faire.

Oui, les bénévoles et associations se mobilisent dans les aéroports, afin de sensibiliser les passagers et le personnel naviguant, en espérant le débarquement des personnes, et elles continueront de le faire, tant que ce règlement absurde et injuste ne sera pas réformé dans le bon sens.

Et pour l’instant, il est difficile d’être optimiste au vu des différentes annonces faites par notre gouvernement. Le projet de réforme de loi sur l’immigration, qui devrait arriver début 2018, est plus qu’inquiétant.

Le 5 septembre, dans un discours aux préfets, M. Macron a déclaré :

Et M. Collomb se satisfait d’une hausse de 124% des expulsions de dublinés.

Cette hausse est probablement le résultat des moyens démesurés que le gouvernement met à disposition des préfets ! Dans une note ministérielle datée du 20 novembre, non publique, et particulièrement inquiétante, on peut entre autres y lire :

En clair, si une famille ou un groupe de dublinés doit être expulsé, les préfets ont le droit d’utiliser des avions privés pour faciliter l’expulsion. Un retour des charters de la honde de Pasqua ?

Pour rappel, si la France n’avait pas appliqué le règlement Dublin en 2016, il n’y aurait eu que 10 000 réfugiés en plus. Et nous serions arrivés à 46 500 réfugiés, soit 0,07% de la population française.

Quand est-ce que la France prendra conscience qu’il serait plus constructif de reporter les millions d’euros dépensés en expulsion sur une vraie politique d’accueil et d’intégration ?

Tant que ça ne sera pas le cas, les bénévoles et assos se mobiliseront, pour le respect des droits humains des étrangers qui nous demandent de leur accorder une protection.

* Il lui reste encore à passer en séance publique le 7 décembre, et il faut espérer que nos députés se mobilisent pour contrer cette proposition.

 

PLUS D’INFOS :

Dossier de la proposition de loi n°331

Le monde : La pression législative s’accroît pour les migrants enregistrés ailleurs en Europe

Le Figaro : L’Assemblée renforce la rétention pour les migrants «dublinés»

2 Responses to :
Suspicion, rétention, expulsion

  1. Latapy dit :

    merci pour ce travail de suivi des débats, indispensable pour réagir, tant qu’il est encore possible d’influer sur les textes

  2. adolf dit :

    merci pour ton texte que j’envoie à mes proches et amis . J’espère que la LDH, avec la CIMADE et d’autres associations connues vont mettre sur pied une action d’envergure pour que soit entendue la voix de « la France des Droits de l’Homme »
    Andrée Adolf

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